4 novembre 2014

Cours n° 3 - Entre l'école et le marché du travail, l'émergence de l'orientation (1919-1940)


Doc. 1: La formation professionnelle : et si on en parlait… autrement ? – la Fabrique de l’industrie, 23 septembre 2013
Début septembre, 12 millions d’élèves ont retrouvé le chemin des classes. Plus qu’on ne le croit, cette actualité intéresse les industriels car les choix d’orientation des jeunes auront nécessairement une implication sur la satisfaction des besoins en compétences des entreprises.




Selon le ministère du Travail, entre 300 000 et 500 000 emplois n’ont pas été pourvus en France en 2011, souvent faute de candidats qualifiés. En parallèle, 150 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif sans qualification ni diplôme. Ce « faux-départ » n’est pas seulement pénalisant aujourd’hui pour leur insertion sur le marché de l’emploi : ce sera aussi, demain, un frein considérable à leurs perspectives d’évolution. Face aux mutations économiques, technologiques et financières que connaissent les entreprises, les compétences sont devenues un élément stratégique de la compétitivité. Selon une enquête de la Banque de France (2012), le manque de personnel qualifié est le premier frein à l’augmentation des capacités de production pour 64% des entreprises.
L’appariement de l’offre de la demande d’emploi par un appareil de formation efficace et de qualité est donc un facteur déterminant de la compétitivité et du taux d’emploi d’un pays. Si la formation doit se construire tout au long de la vie, de nombreux blocage subsistent à chaque étape, comme en attestent les témoignages reçus.
[…]
Premier blocage : les politiques d’orientation scolaire, tout comme les parents, ont tendance à sacraliser l’enseignement général et théorique au détriment des formations professionnelles. Sans le bac général, point de salut ! De plus, les acteurs et dispositifs chargés de la formation professionnels, tout comme les diplômes correspondants, sont nombreux, foisonnants et, de ce fait, peu lisibles. Ce n’est pas tellement que les jeunes et leurs parents manquent d’information ; c’est plutôt que trop d’info tue l’info.
[…]
Deuxième blocage : la formation initiale est « trop déterminante », lit-on dans les témoignages qui nous parviennent. Elle conditionne encore l’ensemble de la carrière. Ensuite, certains employeurs regrettent que des formations subsistent alors qu’elles n’offrent pas (ou plus) de débouchés aux jeunes. Une des voies d’amélioration serait d’accroître les passerelles entre les cursus, pour rendre possibles les réorientations et évolutions vers d’autres diplômes. Aujourd’hui, vu du terrain, les formations professionnelles sont en effet vécues comme encore « trop cloisonnées ». Enfin, ces difficultés concernant l’offre de compétences ont leur pendant côté demande : si l’apprentissage est considéré comme « la voie royale pour faire entrer les jeunes dans l’industrie », les PMI n’ont pas toutes les moyens de former ni d’embaucher par la suite.
[…]
Le troisième blocage concerne la formation continue, encore trop peu développée en France aujourd’hui. La grande majorité des experts et des acteurs qui témoignent jugent « impératif » de sortir d’un monde normé qui valorise les candidats uniquement en fonction de leur diplôme initial. Et pour cause ! Les personnes éloignées de l’emploi, tels que les jeunes sans qualification initiale ou les chômeurs de longue durée, ne parviennent pas à réintégrer le monde du travail en obtenant à mi-parcours une qualification reconnue. Même quand ils détiennent les « savoir-être » nécessaires pour occuper des postes proposés par les entreprises, ces dernières ne souhaitent pas « courir le risque de recruter des personnes sans qualification. » On ne décrète pas la formation des personnes : ce sont les personnes qui se forment parce qu’elles y trouvent un intérêt. Le système ne peut se dégripper que si les parties prenantes amorcent une dynamique de confiance."



« Orientation » : un terme polysémique

Doc 2 : Edouard Claparède, 1922

« L'orientation professionnelle a pour but de diriger un individu - le plus souvent un adolescent, mais aussi un adulte, un chômeur, un mutilé - vers la profession dans laquelle il a le plus de chances de réussir, parce qu'elle répond le mieux à ses aptitudes psychiques ou physiques. »
Édouard Claparède, L'orientation professionnelle. Ses problèmes et ses méthodes, Bureau international du Travail, Genève, 1922, p. 20.


Doc 3 : Jean Guichard, 2006

« L’orientation professionnelle désigne l’ensemble des processus et facteurs sociaux et individuels conduisant à la répartition des individus dans les différents métiers, professions ou emplois et jouant un rôle dans l’évolution de la carrière ou des trajectoires d’emplois de ces individus. L’orientation professionnelle est étroitement liée à l’orientation scolaire. En effet, d’un côté, certaines orientations professionnelles exigent au préalable de s’engager dans certaines voies de formation (par exemple : faire des études de vétérinaire pour exercer ce métier). De l’autre, de nombreux types ou voies de formation initiale – bien que ne prédéterminant de manière précise les métiers ou professions que l’élève ou l’étudiant pourra ensuite exercer – conduisent néanmoins à circonscrire un ensemble plus ou moins flou de métiers ou de professions possibles (ainsi : « des études de lettres ») correspondant à certaines positions probables dans la hiérarchie des positions sociales. L’orientation « scolaire –professionnelle » prend ainsi le sens d’une orientation dans l’espace des positions sociales. »
Jean Guichard, Pour une approche copernicienne de l’orientation à l’école. Rapport au Haut Conseil de l’Education, 2006, p. 8.


A- La matrice de l’orientation professionnelle







1. L’accès au marché du travail: le placement



Doc 4: Les contextes sociétaux d’orientation



  • Une jeunesse au travail









A. Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres,  1918-1931, Fayard, 1965, p. 225.





Le patissier et leramoneur.Chocarne-Moreau


Manufacture de tabac –Hazerville, Lewis Wickes HINE (1874- 1940)




  • Le lent reflux du travail des enfants


Loi du 2 novembre 1892

La loi de 1892 dans le Dictionnaire Buisson (1911): Enfants employés dans l’industrie




La scolarisation obligatoire (1882)





Doc.7 : La question de l'enseignement post-scolaire
«  Il existe à l'heure actuelle une période critique pour l'enfant: c'est celle de sa sortie de l'École primaire, vers sa douzième année, et son entrée en apprentissage. Pendant ce laps de temps plus ou moins long l'enfant est livré à lui-même, sans défense contre les dangers de la rue; il prend des habitudes de vagabondage dont il ne saura se défaire, et qui trop souvent l'éloigneront à jamais de l'atelier. »
Congrès national de l’apprentissage, Roubaix, 1911, Commission d’organisation. Section II. BT, p. 5.

Bourse du travail de Rouen
Doc. 8 : La question du placement
«  L'intérêt pratique de la question est considérable en effet, car l'emploi plus ou moins actif des forces productives d'un pays, et par suite, non seulement l'amélioration matérielle et morale des travailleurs, mais encore la prospérité de toute industrie manufacturière, agricole ou commerciale, dépendent certainement de la facilité avec laquelle les offres et les demandes sont rapprochées pour former le contrat de travail.  »
Becci, Gabriel, Le placement des ouvriers et employés des deux sexes et de toutes professions et la loi du 14 mars 1904, 1906.


2. Les enjeux de la formation professionnelle


Doc.9 : L'entrée en apprentissage
« Mon père avait battu la ville, parlementé avec les uns et les autres et il s’était mis d’accord pour finir avec un patron serrurier dont l’atelier se trouvait à dix minutes de chez nous, juste en face de la gare. Il s‘engageait à me former en deux ans, ne demandait que trois cents francs pour me prendre chez lui et promettait même, si je lui donnais satisfaction, de m’accorder un petit salaire d’encouragement sur la fin de ma deuxième année d’apprentissage. »

Adélaïde Blasquez, Gaston Lucas, serrurier. Chronique de l’anti-héros, 1976, Terre Humaine/Poche, p. 36.

Doc. 10 : Une analyse de la crise de l'apprentissage
« On connaît les causes multiples qui ont contribué à faire disparaître l'apprentissage. Le désir d'un salaire immédiat de la part des enfants et de leurs familles, le développement de la grande industrie qui ne permet plus au patron de s'occuper de ses apprenti, le machinisme, la spécialisation du travail en tâches parcellaires, en une série d'actes tellement simples qu'il suffit de quelques semaines pour savoir conduire une machine ou pour pratiquer la partie du métier qui assure le gagne-pain, toutes ces causes réunies devaient fatalement entraîner la décadence progressive et la disparition de l'apprentissage ».
Dictionnaire Buisson, 1911


3. L’autonomisation de la psychologie

  • La méthode expérimentale




Claude Bernard (1889) par Léon Lhermitte.


  • L’étude des activités humaines

Diversité des champs d'application








  • Les pionniers

1. Alfred Binet (1857-1911)

2. Édouard Toulouse (1865 -1947)

3. Jules Amar (1879—1935)


  • Les successeurs
L’héritier: Henri Piéron (1881-1964)

Jean-Maurice Lahy (1872-1943)

Henri Laugier (1888-1976)




Services d’OP annexés à des laboratoires de psychologie



Doc. 11 : Les aptitudes selon Binet
«La détermination des aptitudes des enfants est la plus grosse affaire de l'enseignement et de l'éducation; c'est d'après leurs aptitudes qu'on doit instruire, et aussi les diriger vers une profession. La pédologie doit avoir comme préliminaire une étude de psychologie individuelle» (Binet, 1909).







B- La construction  d’une profession

1. Une formation pluridisciplinaire



  • L’Institut National d'Orientation Professionnelle (INOP): « école normale des conseillers »
  • Une formation complète


2. Un champ professionnel en construction

  • L’OP, une procédure extérieure à l’école

Doc 12 : La définition d’un champ
« Les praticiens de l’orientation professionnelle estiment que l’instituteur seul ne peut décider de l’avenir des enfants qui lui sont confiés, autrement dit, faire l’orientation professionnelle définitive et lui demandent surtout d’être un de leurs collaborateurs. Il appartient en effet à l’école primaire de faire surtout de la préorientation professionnelle dont le triple but est : a) de placer l’enfant vers la fin de la scolarité dans une sorte d’ambiance professionnelle ; b) de créer en lui une mentalité, un esprit professionnels ; c) de susciter en lui un idéal professionnel. »
Julien Fontègne, rapport présenté à la Conférence européenne du film scolaire, Bâle, avril 1927, BIT, Les problèmes de l'orientation professionnelle, Études et Documents, Série J (Enseignement), n° 4, Genève, 1935, p. 46-47.

  • L’État: une tutelle lointaine
Doc 13: Décret du 26 septembre 1922
« La loi du 25 juillet 1919, modifiée par celle du 21 juin 1920, a confié au Sous-Secrétariat d'État à l'Enseignement technique l'éducation professionnelle des adolescents. »
[...]
« Article premier. – L’orientation professionnelle est l’ensemble des opérations incombant au sous-secrétariat d’État de l’enseignement technique qui précèdent le placement des jeunes gens et jeunes filles dans le commerce et dans l’industrie et qui ont pour but de révéler leurs aptitudes physiques, morales et intellectuelles. »

C- Le tournant des années 30



1. L’OP au service de la politique de l’emploi


  • La « découverte » du chômage des jeunes



Manifestations de travailleurs à Paris pour protester contre la montée du chômage en 1933















  • Qualifier la jeunesse
Doc 6:Décret-loi du 24 mai 1938

Le décret que nous avons l'honneur de vous soumettre a pour objet d'assurer au pays la main-d’œuvre qualifiée sans laquelle les mesures que nous vous présentons par ailleurs en vue de redresser l'économie et les finances de la nation, ne sauraient garder qu'une faible part de leur efficacité.
La France doit accroître sa production. La défense nationale a pour condition essentielle, sinon suffisante, la puissance économique du pays. La stabilisation des prix et du coût de la vie - donc la paix sociale -, l'équilibre de nos importations et de nos exportations - donc le sort du franc -, le rétablissement d'un rapport normal entre les charges publiques et le revenu national - donc l'équilibre du budget, l'aisance de la trésorerie. la possibilité de poursuivre l'effort de justice sociale et de solidarité humaine déjà accompli par la présente législature -, dépendent directement d'un accroissement sensible de notre production. c'est-à-dire, au premier chef de la qualité de nos producteurs, ouvriers et techniciens et de leur nombre.


2. La segmentation du champ de l’orientation

Arrêté du 22 mai 1937 : « à titre expérimental, au cours de l’année 1937-1938, des classes d’orientation réunissant tous les élèves susceptibles de suivre les enseignements du second degré ».


Doc 7: La distinction orientation scolaire/orientation professionnelle

« Démocratiser l'enseignement, ce n'est pas l'encombrer, ce n'est pas précipiter vers la culture secondaire ou supérieure des milliers d'enfants et de jeunes gens à qui ne seront pas plus tard garanties les situations qu'ils croyaient pouvoir saisir à l'aide  de parchemins devenus vains; ce n'est pas augmenter le nombre des jeunes gens sans emploi et sans situation, qui fourniraient des déclassés et des aigris et qui feraient courir aux institutions de liberté le grave péril auquel ailleurs elles n'ont pas survécu. (Applaudissements). C'est, bien au contraire, organiser et choisir.  »
Conférence de M. Jean Zay, Ministre de l’EN à l’Union Rationaliste (29 novembre 1937)





Doc 8: La segmentation du champ de l’orientation





Approfondir:

- Jérôme Martin, "L’orientation professionnelle entre science, technique et pratique sociale. Un éclairage historique à partir de l’exemple français, 1900-1940", Congrès de l'AREF 2013, Actualité de la Recherche en Education et en Formation.